Grève Générale en France

ou comment la France s’est réveillée
jeudi 4 août 2011
par Ben
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Au cours des 10 premières années du XXI° siècle, malgré une économie mondiale fortement chahutée par des déficits financiers, le nombre de luttes sociales avait tendance à diminuer. C’est dès le début 2010 que les pays d’extrème orient et d’Afrique du Nord, plongés dans un contexte de privation de liberté et de pauvereté, se révoltent les uns après les autres, parfois dans le sang, pour plus de justice sociale et une meilleure répartition des richesses. Les pays européens, d’abord simples observateurs de ces évènements, voient déjà apparaître dès 2010 des mouvements contre la faim (Grèce, Espagne).

En France, les syndicats, et la CGT en tête, réclament depuis de nombreuses années, une augmentation générale des salaires. Les travailleurs et travailleuses suivent timidement, car échaudés par des mouvements de 2010 comme celui contre l’allongement de l’âge de la retraite et de la durée de cotisation qui sont restés sans succès, devant un gouvernement plus autiste et aveugle que réformiste (c’est peu dire…).

Ce mois d’Octobre 2011 marque le début d’une série de mouvements sociaux dans l’exagone, et notamment dans la mét­all­urgie, du fait de l’aug­men­ta­tion des caden­ces, de l’intro­duc­tion de nou­vel­les mét­hodes de tra­vail qui s’ajou­tent aux abat­te­ments de zone (30% de différ­ence par rap­port aux salai­res pari­siens), alors que les prix du m² augmente, et ali­men­tent le méc­ont­en­tement de la classe ouvrière. Les grèves tour­nan­tes dém­arrent à partir d’octobre. Elles sont rapidement relayées par les usines Peugoet et après par les autres secteurs de l’économie, et en particulier le secteur tertiaire, et notamment les assurances et les banques où la moyenne d’âge est de plus en plus basse. Les jeunes, lassés de "galérer" dans la précarité, relèvent le defi que leurs parents ont laissé tombé, aveuglés et anesthésiés par les acquis sociaux déjà obtenus jusqu’après le milieu du XX° siècle (1968).

Au mois de novembre 2011, le conflit se durcit après que les personnels aient occupé spon­tanément les bureaux de la direc­tion d’une usine de Gepville, séqu­estré le direc­teur et hissé le dra­peau rouge sur le bâtiment. Le len­de­main, 21 novembre, les métallurgistes de toutes les usines de Gepville se met­tent en grève, atta­quent les CRS qui occu­pent les locaux et obli­gent le maire et le préfet à les reti­rer de la ville.

Les syndicats refu­sent toutes les pro­po­si­tions patro­na­les. Le 1er Décembre 2011, a force publique inter­vient contre les grèvistes qui brûlent les let­tres indi­vi­duel­les que leur a envoyées la direc­tion et qui met­tent le feu aux bâtiments de la direc­tion. Les directions pren­nent peur et accor­dent une aug­men­ta­tion de 17% quel­ques jours plus tard.

La vic­toire de Gepville a imméd­ia­tement des rép­erc­ussions à Balbec, ville voi­sine avec laquelle existe une tra­di­tion de soli­da­rité.

Le 17 Décembre 2011, les personnels font spon­tanément grève devant le siège des usines Peugoet où se tien­nent des négoc­iations avec les syn­di­cats. Ils empêchent la direction de sortir, l’obli­geant à céder de plus en plus : 100, puis 150, puis 200 puis 330 Euros d’augmentation nette par mois.

Les tra­vailleurs et travailleuses enva­his­sent l’immeu­ble aux cris de « Nous vou­lons 400 euros » et pas­sent le mobi­lier et les papiers par les fenêtres. A 15 h 30, devant l’ampleur de la mani­fes­ta­tion, les représentants de la classe dirigeante cèdent les 400 euros et sor­tent de la salle des séances en file indienne entre une haie injuriante ; ils trou­vent leurs voi­tu­res avec les pneus crevés et doi­vent repar­tir à pied. Dans la soirée, les direc­tions dén­oncent l’accord acquis sous la “contrainte” ».

Le len­de­main, 10 000 personnes des­cen­dent dans la rue et des échaufourées éclatent entre des élements incontrôlés et la police devant la préf­ec­ture où les représentant des syn­di­cats sont en négociation. Une bombe artisanale blesse 27 CRS. Le jour sui­vant, un groupe atta­que un jour­nal local. L’après-midi, la prison (où des grév­istes sont empri­sonnés) et le Palais de jus­tice font l’objet d’un rassemblement, alors qu’un autre groupe de manifestants reste devant la préfecture. Un mani­fes­tant est tué d’une balle tirée à bout portant par un CRS , et un autre est blessé.

Les syn­di­cats encouragent les entreprises à suivre l’exemple de Gepville et Balbec : "à s’inspirer de l’exemple victorieux des métallurgistes de Gepville montrant la seule voie juste" et dén­oncent les « pro­vo­ca­teurs ». Mais le mouvement s’épuise dès le début 2012 : le tra­vail reprend len­te­ment, les directions font des pro­po­si­tions de plus en plus ridi­cu­les et licen­cient des plus com­ba­tifs. Le mou­ve­ment s’effrite jusqu’en sep­tem­bre et, même s’il a des rép­erc­ussions à la ren­trée dans le tex­tile, les mines, le bâtiment et la SNCF, il se ter­mine par un échec. Cependant, la peur du gou­ver­ne­ment et du patro­nat que la lutte grév­iste redém­arre est telle qu’ils décident d’accor­der la Sixième semaine de congés payés le 15 sep­tem­bre 2012. C’est l’accord "Peugoet".

Cet accord garan­tit une aug­men­ta­tion annuelle des salai­res de 4% en fonc­tion des pro­grès tech­ni­ques, une sixième semaine de congés payés, la semaine de 32 heures sans réduction de salaires, la retraite à 60 ans avec 35 années de cotisation, la réintégration dans le salaire fixe des éléments non soumis à cotisation (intéressement participation, perco…), avec prise en charge des cotisations par l’employeur. Mais les syn­di­cats s’enga­gent, pour une durée de deux ans, à ne recou­rir à la grève qu’après avoir épuisé toutes les autres solu­tions. Engagement qui n’est pas tenu, puisque 6 mois plus tard, une grève de trois heures est déclenchée sans préavis à Foncombe (ELF), à l’appel de tous les syndicats.

Les grèves de 2011-2012 sont sui­vies par un renforcement de l’audience des syndicats. Le nombre d’adhésions explose, et ceux-ci, vrais acteurs et actrices dans le rapport de force Entreprise/Personnel, n’ont plus besoin de recourir à la grève, tellement le patronat craint le renouvellement de ces mouvements. Les années 2013-2020 sont le théatre d’avancées sociales sans précédent qui s’étendent dans le monde entier et touchent l’économie mondiale, qui abandonne progressivement le capitalisme financier, avec des mesures concrètes : Salaires des dirigeants plafonné à 3 fois le plus bas salaire, résorption du chômage, avancées technologiques au profit du travail humain, et non plus au profit financier, minimum social (en termes de logement, de nourriture, d’éducation, de santé, etc.)


Vous l’avez compris, ce récit n’est que du "Syndicalisme fiction".

Pourtant, les fait relatés et la chronologie s’inspirent largement du mouvement social de 1953-1955 qui a eu lieu aux chantiers navals de St Nazaire et Nantes (et non Gepville, Balbec et Foncombe [1]), qui ont donné lieu à l’accord Renault (et non Peugoet), qui a instauré la 3° semaine de congés payés, le paiement des indemnités journalières en cas de maladie, la retraite complémentaire pour les ouvriers, les congés familiaux pour les décès, les mariages, les départs en retraite, et la mise en place d’un fond de chômage alimenté par les seules cotisations patronales, et les congés d’ancienneté.

Les acquis sociaux qui nous semblent évidents aujourd’hui (comme les avancées de l’accord Renault) ne sont pas arrivés dans le code du travail comme l’air qu’on respire ou l’eau qu’on boit. Elles n’étaient pas sur terre dans un jardin d’Eden.

Cela a été l’œuvre de luttes, parfois sanglantes de nos parents, qui risquaient leur emploi, et parfois leur vie, pour les obtenir.

Cela a été l’œuvre aussi du Conseil National de la Résistance, qui rappelons-le, au sortir de la guerre, a voulu construire une société plus juste, plus humaine, après ce vent de folie nazie. Les Délégués du Personnel et les Congés payés (2 millions de travailleurs en grève en mai 1936), pour 2 semaines, puis 3 en 1956 (accord Renault relaté ci-dessus, suite aux grèves des chantiers navals de Nantes et St Nazaire) puis 4 semaines en 1968 (10 millions de salariés en grève), puis 5 semaines en 1982 (programme commun de la gauche), le régime de protection sociale, les régimes de retraites par répartition, les Comités d’Entreprise (Programme national de la résistance en 1945 – 1946), le SMIC (Grève de 10 millions de salarié-e-s en mai 1968), la semaine de 40h, puis 39h, puis 35h (grèves du Front populaire, puis élection présidentielle du Pari Socialiste en mai 1981), sont quelques exemples d’avancées sociales arrachées au patronat. Elles ne sont pas tombées du ciel par hasard et encore moins « accordées généreusement », dans un élan d’humanisme de la classe dirigeante.

Si elles sont mises à mal aujourd’hui par une classe qui espère détricoter ces acquis c’est en jouant sur le laxisme des travailleurs et travailleuses françaises.

Enfin, tant qu’ils ne se sont pas réveillés…


L’Institut CGT d’histoire sociale

Article réalisé avec l’aimable autorisation André Narritsens, la revue Agone (http://revueagone.revues.org/), et les précieux conseils de Sabine Reynosa (Décalogue pour une rédaction non sexiste)


[1] qui sont des villes imaginaires respectivement du Crédit Agricole, de Marcel Proust et Tolkien


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La CGT et « l'accord Renault » du 15 septembre (...)
La CGT et « l'accord Renault » du 15 septembre (...)

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