Rarement sans doute un gouvernement aura failli a ce point à la réputation du pays des droits de l’homme.
Non content d’avoir des années durant ignoré les exactions du régime tunisien, il aura, en pleine répression sanglante, délégué sa ministre des Affaires étrangères pour recevoir un envoyé du despote et lui proposer un « savoir-faire » policier en matière de maintien de l’ordre. Difficile de faire pire.
Dix jours après le renversement de Ben Ali on attendait donc avec quelque impatience la conférence de presse élyséenne consacrée aux questions in internationales. C’est peu dire qu’on fut effaré. Certes, le président concéda n’avoir pas pris la juste mesure de la situation et des aspirations do peuple tunisien. Il s’est même dit aveuglé par les réussites du pays. Mais pour tout aussitôt mettre sur le compte d’une pudique réserve anticoloniale le silence de la France, et se camper en quasi-clandestin de la cause démocratique tunisienne. L’opposition était non seulement « accueillie » mais aussi « protégée » par la France nous expliqua-t-il, Reste que ce qui vient de se produire en Tunisie ne relève guère de la prévision. Sans doute aura-t-on demain le sentiment que les événements qui firent notre étonnement répondaient à une impérieuse nécessité. Reste qu’à l’instant de son déclenchement, la « révolution » se déploie toujours sous le signe de « l’événement ». C’est-à dire de l’imprévisible, pour ne pas dire de l’inouï : les mots qu’elle a soudain libérés semblaient encore imprononçables quelques instants plus tôt. Et le courage qu’elle supposait, inconcevable. Et la victoire qu’elle espérait, invraisemblable. C’est sur cette étrange alchimie qui transforme le mécontentement en soulèvement et qui fait passer de l’indignation à l’acte que s’interrogeait déjà Kropotkine, prince russe, géographe et théoricien de l’anarchisme. « Par quel enchantement ces hommes, que leurs femmes traitaient hier avec raison de lâches, se sont-ils transformés aujourd’hui en héros, qui marchent sous les balles et sous la mitraille à la conquête de leur droit ? Comment ces paroles, tant de fois prononcées jadis et qui se perdaient dans l’air comme le vain son des cloches, se sont-elles enfin transformées en actes ? »
L’interrogation qui vaut aujourd’hui comme hier n’a évidemment pas de réponse.
Elle témoigne simplement que le courage de demander un droit juste n’advient pas aisément.
Elle témoigne surtout que, malgré tout, le sujet de liberté, le désir de justice, le caractère intempestif de la voix du peuple ne sont pas morts.
Et c’est une excellente nouvelle.
LECONS TUNISIENNES

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